Ordonnance de la Cour d’appel de la JUB rendue le 20 juin 2025 – APL_20694/2025
La question en jeu concerne l’interprétation et l’application de l’article 69(4) de l’Accord sur la Juridiction Unifiée des Brevets (AJUB) concernant les garanties qui peuvent être demandées par les défendeurs dans les litiges en matière de brevets devant la Juridiction Unifiée des Brevets (JUB). Plus précisément, l’affaire examine si, dans le contexte d’une action en contrefaçon, le défendeur à une demande reconventionnelle en nullité peut demander une garantie à l’encontre du prétendu contrefacteur, une question qui a des implications pour l’équilibre des pouvoirs et l’équité dans les litiges en matière de brevets.
Emboline a initié une action en contrefaçon contre AorticLab concernant le brevet européen EP 2129425. Au cours de la procédure, Emboline a demandé une garantie, arguant que l’instabilité financière d’AorticLab posait un risque d’insolvabilité. AorticLab a déposé une demande reconventionnelle en nullité et a soutenu que la demande de garantie d’Emboline était infondée, car seul un défendeur peut demander une telle mesure.
Le Tribunal de première instance a ordonné à AorticLab de fournir une garantie s’élevant à 200 000 €. Il a estimé que le double rôle d’Emboline en tant que demandeur dans l’action en contrefaçon et défendeur dans la demande reconventionnelle en nullité justifiait une interprétation réciproque de l’article 69(4) AJUB. Le Tribunal de première instance a autorisé à faire appel, reconnaissant la question juridique de savoir si l’article 69(4) AJUB permet à l’une ou l’autre partie de demander une sécurité pour les coûts n’est pas résolue.
La Cour d’appel a mené une analyse complète des dispositions légales et des principes sous-jacents de l’article 69(4) AJUB.
La Cour d’appel a souligné que la disposition de l’article 69(4) AJUB permet une demande de garantie spécifiquement à la demande du défendeur. La Cour d’appel a jugé le libellé de l’article intentionnel et non ouvert à une interprétation large qui inclurait les demandeurs. Bien que la règle 158 des Règles de procédure (RoP) utilise un libellé plus large, faisant référence à « une partie » demandant une garantie, la Cour d’appel a estimé que cette règle ne peut pas primer sur les dispositions spécifiques de l’AJUB.
La Cour d’appel s’est penchée sur la raison d’être de l’article 69(4) AJUB, qui est de protéger les défendeurs contre les demandeurs qui pourraient engager des actions en justice sans les moyens financiers pour couvrir les coûts juridiques résultants. Cette mesure de protection garantit que les défendeurs ne sont pas injustement grevés par des procédures juridiques initiées par des demandeurs ayant des ressources financières insuffisantes. La Cour d’appel a souligné que cette raison d’être ne s’étend pas aux demandeurs cherchant des protections similaires.
Bien qu’Emboline soit le défendeur dans la demande reconventionnelle en nullité déposée par AorticLab, la Cour d’appel a noté qu’une demande reconventionnelle en nullité est techniquement une action distincte de l’action en contrefaçon, mais est intrinsèquement liée à l’action en contrefaçon. La demande reconventionnelle en nullité est une mesure défensive nécessaire plutôt qu’une action indépendante initiée par le défendeur. Par conséquent, la nécessité de protéger les défendeurs contre les actions des demandeurs ne s’applique pas dans ce contexte.
La Cour d’appel a considéré les implications potentielles de permettre aux demandeurs de demander une garantie. Elle a conclu qu’une telle mesure limiterait déraisonnablement la capacité d’un défendeur à se défendre, en particulier dans les cas où le défendeur pourrait ne pas avoir les ressources financières pour fournir une garantie. Cela pourrait conduire à des situations où les défendeurs sont incapables de soulever des défenses valables en raison de contraintes financières, affectant ainsi le principe d’un accès équitable à la justice.
La Cour d’appel a en outre souligné que son raisonnement est également justifié au vu des conséquences du non-respect d’une ordonnance de garantie. Les demandeurs, s’ils sont incapables de fournir une garantie, ont la possibilité de retirer leurs actions, tandis que les défendeurs pourraient faire face à des jugements par défaut s’ils ne se conforment pas aux ordonnances de garantie.
La Cour d’appel a exploré si le droit de l’Union Européenne, en particulier l’article 14 de la Directive au respect des droits de propriété intellectuelle (Directive 2004/48/CE), pouvait fournir une base légale pour élargir la portée de l’article 69(4) AJUB, mais a conclu que la Directive n’établit pas un droit de demander une garantie à l’initiative du demandeur.
La Cour d’appel a finalement annulé l’ordonnance contestée, rejetant la demande de garantie d’Emboline comme irrecevable. Cette décision clarifie la portée et les limitations de la demande de garantie dans les litiges en matière de brevets, renforçant le principe selon lequel de telles mesures sont destinées à protéger les défendeurs contre des demandeurs potentiellement insolvables.