Souvent commenté, l’arrêt FREE contre FREE SBE (Cour d’appel de Paris – Pôle 05 ch. 02, 14 janvier 2022 / n° 20/05019, S. A.S. FREE/S. A.S. FREE SBE) pose la question du point de départ du délai de la forclusion par tolérance.

En vertu de l’article L. 716-2-8 du CPI, le titulaire d’un droit antérieur qui a toléré pendant une période de cinq années consécutives l’usage d’une marque postérieure enregistrée en connaissance de cet usage n’est plus recevable à demander la nullité de la marque postérieure (…), pour les produits ou les services pour lesquels l’usage de la marque a été toléré, à moins que l’enregistrement de celle-ci ait été demandé de mauvaise foi.

C’est bien la condition relative à la date de départ de cette période de cinq ans qui a valu à la société FREE de se voir déclarer irrecevable en son action en contrefaçon de marques et en nullité contre la marque semi-figurative française FREE-SBE.

En effet, FREE arguait qu’elle n’était pas forclose à agir à l’encontre de la marque FREE-SBE, étant donné que la prescription quinquennale ne court qu’à partir de la date d’enregistrement de la marque contestée et que l’assignation de la société FREE-SBE est intervenue un peu moins de 5 ans après l’enregistrement de cette marque.

Tout en affirmant que le point de départ de cette prescription était « la date à laquelle le titulaire de la marque antérieure acquiert la connaissance de l’usage de la marque postérieure et a la possibilité de ne pas le tolérer et de s’y opposer », la Cour d’appel confirme le jugement attaqué qui considérait que FREE avait nécessairement connaissance de la marque antérieure avant l’enregistrement de celle-ci au motif que FREE dispose d’un de système de surveillance « lui signalant tout dépôt de marque contenant le vocable FREE » et que FREE engage « systématiquement des actions à l’encontre de quiconque tenterait de se l’approprier ».

Cette décision est à notre avis contestable, dans la mesure où, d’une part elle résulte d’une interprétation extensive d’une exception à l’article L. 711-3 établissant la liste des fondements de l’action en nullité contre une marque et, d’autre part, elle risque de porter atteinte de manière inéquitable aux intérêts du titulaire de la marque antérieure, notamment si celui-ci est reconnu comme assurant régulièrement la surveillance et la défense de sa marque.

Il est constant que :

  • la preuve de la connaissance par le titulaire antérieur de l’usage de la marque seconde doit être démontrée par celui qui se prévaut du délai de forclusion (INPI, décision sur nullité, 18 janvier 2023 / n°NL22-0026, CONCECPSON / M. J.D. ; Cour de cassation, ch. Com., 7 mars 2018 / n°194 F-D, JASMIN, CAFE INDIGO / Mme. X), et que
  • le délai court à compter de la connaissance par le titulaire antérieur de l’usage de la marque seconde (TUE, 23 octobre 2013 / T-417/12, AQUAFLOW, § 21; EUIPO, décision sur nullité, 21 avril 2023 /n°44 930 C, DELTA AIR LINES, Inc. / MARRIOTT WORLDWIDE Corporation).

Toutefois, contrairement à l’arrêt FREE / FREE SBE, le Tribunal de l’Union Européenne, dans sa décision AQUAFLOW du 23 octobre 2013, déclare que « le titulaire de la marque antérieure doit avoir connaissance de l’usage de cette marque après son enregistrement » et que «Dès lors, c’est à partir du moment où le titulaire de la marque antérieure a eu connaissance de l’usage de la marque communautaire postérieure après son enregistrement, et non au moment de la présentation de la demande de marque communautaire, que le délai de forclusion par tolérance commence à courir » (§ 19 et 21).

Selon le Tribunal de l’EU, l’usage à prendre en compte serait donc celui qui a lieu après l’enregistrement de la marque contestée et non au moment de son dépôt.

En outre, la sécurité juridique nécessite :

  • la démonstration que le titulaire de la marque antérieure avait une connaissance effective de l’usage de la marque contestée (en ce sens voir EUIPO, décision sur nullité, 21 avril 2023 /n°44 930 C, DELTA AIR LINES, Inc. / MARRIOTT WORLDWIDE Corporation ; TUE, 20 avril 2016 / T-77/15, SKYTEC, § 30-35), la simple présomption d’une telle connaissance n’étant pas suffisante,
  • « un ensemble d’éléments précis et concordants » afin de démontrer que le titulaire antérieur a « nécessairement » eu connaissance de l’exploitation effective de la marque seconde et, en conséquence, en a « sciemment toléré son usage » (Cour d’appel de Paris, 13 avril 2022 / n°075/2022, GOURMIBOX / GASTRON’HOME),

Peut-on réellement considérer que FREE a sciemment toléré l’usage de la marque FREE SBE ? Il est en effet difficilement admissible pour le titulaire d’une marque de voir que les moyens de défense de ses droits se retournent contre lui, le privant justement des actions nécessaires à leur protection.

Rappelons en effet, qu’« il importe, pour des raisons de sécurité juridique et sans porter atteinte de manière inéquitable aux intérêts du titulaire d’une marque antérieure, de prévoir que ce dernier ne peut plus demander la nullité ou s’opposer à l’usage d’une marque postérieure à la sienne dont il a sciemment toléré l’usage pendant une longue période, sauf si la marque postérieure a été demandée de mauvaise foi » (cf. : considérant 12 de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008).

Il est donc recommandé pour toute marque postérieure relevée de former opposition dès sa publication ou, à défaut, de déposer sans délai une action en nullité auprès de l’INPI ou de l’EUIPO, ou une action en contrefaçon si celle-ci est utilisée.

Les équipes Lavoix restent à votre disposition pour la défense de vos droits.

Publié le : 7 septembre 2023Catégories : PublicationMots-clés :

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